
Les récentes évolutions des taux obligataires suscitent un intérêt croissant parmi les acteurs du marché de l’assurance-vie. L’augmentation continue des rendements des obligations assimilables du Trésor (OAT) à 10 ans, qui sont passés d’environ 2,8 % en septembre 2024 à 3,56 % en mars 2025, redessine l’équilibre des portefeuilles d’investissements des compagnies d’assurance et l’attractivité des fonds en euros.
Opportunités et risques pour les fonds en euros
La progression des taux obligataires présente un double effet pour les fonds en euros, largement exposés aux titres de dette souveraine. D’une part, cette hausse améliore la rentabilité des nouvelles souscriptions obligataires, offrant aux assureurs la possibilité d’acquérir des titres affichant des rendements supérieurs à ceux servis actuellement sur les fonds en euros. Ce phénomène devrait progressivement rehausser le rendement moyen de ces supports, qui s’établissait autour de 2,5 % en 2024.
Cependant, la contrepartie de cette dynamique tient à la valorisation des anciens actifs obligataires. Une remontée trop rapide des taux entraîne mécaniquement une baisse des cours des obligations déjà détenues en portefeuille, générant des moins-values latentes. En cas de rachats massifs des épargnants, les assureurs pourraient être contraints de céder ces titres à perte, mettant sous pression leur solvabilité.
Si une tension majeure venait à perturber le secteur, la législation prévoit un dispositif permettant de préserver la stabilité financière. L’article 49 de la loi Sapin II confère au Haut conseil de stabilité financière (HCSF) la faculté de restreindre temporairement les rachats sur les contrats d’assurance-vie, pour une durée maximale de six mois. Une telle mesure, bien que rarement activée, pourrait être envisagée si plusieurs indicateurs de marché indiquaient une situation critique.
Signaux d’alerte à suivre
L’évolution de l’OAT à 10 ans constitue un baromètre essentiel pour le secteur. Si une remontée progressive reste gérable, un choc soudain pourrait précipiter des arbitrages défavorables aux fonds en euros. Une envolée rapide des taux vers 5 % inciterait les détenteurs de contrats à reconsidérer leurs allocations d’actifs, risquant d’entraîner des sorties de capitaux significatives.
Selon les stress-tests réalisés par les assureurs, le secteur français est actuellement en mesure d’absorber des hausses modérées. Toutefois, l’accélération du mouvement et son ampleur détermineront la capacité des compagnies à préserver leur équilibre financier sans intervention extérieure.
Si les rendements obligataires poursuivent leur progression sur le long terme, l’écart entre la rémunération des fonds en euros et les taux de marché pourrait s’accentuer. Un différentiel trop important rendrait ces supports moins attractifs par rapport à d’autres produits d’épargne à capital garanti, comme les comptes à terme.
Les réserves constituées au sein des fonds en euros ont jusqu’à présent amorti l’impact de la remontée des taux. En 2023, le rendement des actifs sous-jacents s’élevait à 2,35 %, un niveau soutenu par la redistribution progressive des bénéfices antérieurs. Néanmoins, ces marges de manœuvre s’érodent progressivement et ne sont pas uniformément réparties entre les compagnies, certaines disposant de réserves plus limitées.
Dans un contexte de taux plus élevés, de nouvelles alternatives d’investissement pourraient capter une part croissante de l’épargne traditionnellement dirigée vers l’assurance-vie. Les banques, par exemple, ont l’opportunité de renforcer l’attractivité des comptes à terme, qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes prudentielles que les fonds en euros.
Par ailleurs, la montée en puissance des fonds obligataires à échéance constitue un autre facteur à surveiller. Ces véhicules d’investissement, gérés par des sociétés de gestion d’actifs, offrent des rendements compétitifs en intégrant des obligations acquises récemment à des niveaux de taux plus avantageux. Une adoption accrue de ces produits par les investisseurs pourrait accentuer la pression concurrentielle sur l’assurance-vie.
Malgré ces enjeux, l’assurance-vie conserve un attrait significatif auprès des épargnants. En janvier 2025, la collecte nette a atteint 4,5 milliards d’euros, marquant un niveau record pour un premier mois de l’année depuis 2010, selon les données de France Assureurs. Toutefois, cette performance repose principalement sur les unités de compte (+5,2 milliards d’euros), tandis que les fonds en euros ont enregistré une légère décollecte (-700 millions d’euros).
Le volume total de l’encours en assurance-vie dépasse désormais les 2 000 milliards d’euros, témoignant de la place centrale de ce placement dans le patrimoine des ménages français. L’évolution des taux dans les mois à venir déterminera si cette dynamique se maintiendra ou si une réallocation des actifs s’opérera au profit d’autres instruments financiers.