Deux ans après la loi PACTE, le plan épargne retraite (PER) s’est implanté auprès des ménages, notamment dans sa version individuelle. C’est un succès dont il faut se réjouir. Sans croire pour autant qu’il est parfait. Pour aller plus loin, il doit être amélioré.
Avant même la campagne fiscale de fin 2021, les dernières statistiques indiquent que 3 millions de Français sont souscripteurs d’un plan d’épargne retraite (PER) en deux ans, pour 32 milliards d’euros d’encours et une collecte de plus de 10 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année. Sur ces bases, les objectifs fixés par Bercy lors de sa conception seront atteints.
La dernière édition de l’Observatoire Eres des retraites européennes évalue l’épargne retraite totale des Français à fin 2019 à 665 milliards d’euros. Somme des produits retraite et de l’épargne affectée à la retraite, ce total représente 40 % du produit intérieur brut. Il a progressé de 63 % en dix ans. C’est moins que les 87 % de croissance moyenne des encours comparables dans les pays de l’OCDE, où la capitalisation est plus développée. Ce déficit s’explique par la force de notre socle de répartition, mais aussi par un fait plus rarement analysé : une part importante de cette épargne retraite est détenue par… des retraités.
Si on ne considère que les actifs, ce sont 478 milliards d’euros seulement qui sont au travail. Cela permettra de compenser de 3 points la baisse du taux de remplacement de la population… Mais il y a des motifs de satisfaction : les produits d’épargne retraite dédiés progressent, dans ce total, deux à trois fois plus vite que les produits plus généralistes, « affectés à la retraite ».
Les clefs du succès
Comme dans Le Seigneur des Anneaux, le PER dispose, depuis sa création, de super pouvoirs, qui en font le réceptacle unique, transférable, souple, efficace et transparent de l’épargne. Ces super pouvoirs sont :
– 1 plan, 3 compartiments : l’épargnant peut regrouper son épargne retraite, quelle qu’en soit l’origine, dans un seul environnement de services et de gestion financière, pour simplifier et limiter la déshérence. Même les anciens produits retraites (Madelin, Perp, PERCO, Préfon, Corem, Art 83…) sont concentrables dans ce PER unique ;
– la liberté de sortie en capital en une ou plusieurs fois ou en rente. Autre possibilité : avant la retraite, il est possible de récupérer son épargne en cas de coup dur ou pour acheter sa résidence principale. Cela « libère » l’effort d’épargne retraite ;
– le PER s’adapte à tous les profils. Les sources de valeur ajoutée sont nombreuses : accueil de cotisations « Madelin » et « universelles » pour les travailleurs non salariés, dopage des cotisations Madelin à l’abondement dans le PER d’entreprise si le TNS emploie au moins un salarié, mutualisation des plafonds entre conjoints, rattrapage des plafonds non consommés des trois années précédentes, reconstitution de plafonds l’année du retour fiscal en France pour les expatriés, possibilité de souscrire un PER « Super PEL » pour les enfants rattachés au foyer fiscal, travail de collèges au traitement différent dans le compartiment « obligatoire »…
Fiscalité et transparence, deux atouts complémentaires
Il faut aussi citer la vaste gamme de supports de placements éligibles, la généralisation de la gestion pilotée, la concurrence entre des solutions comptes titres ou assurantielles.
La reprise fiscale à la sortie est le plus souvent effectuée à une tranche marginale d’imposition inférieure au gain fiscal à l’entrée. L’épargne capitalise en brut. Et le net disponible, dans l’hypothèse d’une sortie à la retraite ou d’une transmission pour cause de mort, est dans la majorité des cas plus élevé qu’avec l’assurance vie.
Le PER est transparent. L’accompagnement des distributeurs dans le cadre de leur devoir de conseil à la souscription, sur l’opportunité des transferts pendant la phase d’épargne et lors de la phase de consommation de l’épargne accumulée est réel (voir encadré). Saluons le tour de force des courtiers en assurance, conseils en gestion de patrimoine et autres experts comptables qui ont, en un temps record, assimilé le produit, ses atouts et son ingénierie et préempté les offres. Ils sont le moteur du succès du PER.
J’entends ces voix qui trouvent le tableau dithyrambique. Les frais sont trop élevés. Comme dans tout marché concurrentiel, il y a des offres plus ou moins chères, avec plus ou moins de service. Mais il est indéniable que tout épargnant cherchant une offre avec un bon rapport qualité/prix/conseil ou une offre à bas prix peut la trouver. Et s’il n’est pas content, il peut transférer.
À quand un abondement retraite à l’allemande ?
Pour autant, le PER est perfectible. Il faut l’améliorer. À la base, il y a le sujet de l’inégalité dans la répartition de l’épargne retraite. Par définition, avec plus de la moitié des ménages français qui ne payent pas d’impôt et qui ont une capacité d’épargne peu élevée, voire nulle, le PER et son avantage fiscal à l’entrée attire… les épargnants qui payent des impôts. Pour ceux qui n’ont pas accès au PER d’entreprise, et ne peuvent défiscaliser faute de payer des impôts, pourquoi ne pas prévoir un « abondement épargne retraite » de l’État sur un modèle largement éprouvé en Allemagne lors de la grande réforme des retraites de 2004 ?
La prochaine réforme des retraites sauvera le socle de notre répartition et donnera des gages sur nos finances publiques. Le taux de remplacement des plus aisés sera pénalisé par cette réforme. Les plafonds (cotisations des régimes collectifs, abondement PERECO, disponible « Retraite Madelin des TNS », plafond épargne retraite individuel de nos avis d’imposition) sont insuffisants pour que la capitalisation monte suffisamment en régime pour absorber le choc. Il faut tous les revaloriser et les indexer.
Liquidons aussi le forfait social, allégé ou supprimé pour les TPE et PME, mais qui frappe toujours injustement les ETI et grandes entreprises qui ont le malheur d’être vertueuses en épargne retraite, comme toutes les entreprises qui le font avec une solution de PER d’entreprise à cotisations définies.
Besoin d’un surcroît de concurrence
Poussons jusqu’au bout la logique de PACTE, qui promettait un PER souple et stimulé par une concurrence bénéfique à l’épargnant, grâce à la transférabilité et à la mise en concurrence de solutions assurantielles et compte titres. Cette promesse n’est qu’imparfaitement tenue :
– le compartiment des cotisations obligatoires dans les PER d’entreprise ne peut sortir qu’en rente et n’a pas le cas de déblocage résidence principale ;
– le PER comptes titres, pourtant potentiellement moins cher, est pénalisé sur le plan successoral par rapport au PER assurance. Il ne peut pas être souscrit et promu par une association défendant les intérêts des épargnants comme la version assurance. Il est donc très peu fabriqué et distribué à ce jour ;
– la conversion des anciens PERCO en PERECO se heurte à un traitement rétroactivement défavorable des versements volontaires lors de la sortie du PERECO si le PERCO y a été transféré.
La normalisation des frais de transfert du PER (1 % maximum pendant les 5 premières années, 0 % au-delà) ne s’applique pas aux transferts d’anciens produits (Madelin, Perp, Articles 83). Ces derniers ont pu conserver des conditions contractuelles défavorables. De nombreux acteurs mènent d’ailleurs une guérilla pour freiner les transferts, en imposant des process scandaleux. Il faut, sur le modèle de l’épargne salariale, normaliser les transferts et sanctionner les acteurs qui ne respectent pas les délais et procédures de place.
La passerelle assurance vie PER est utile (voir encadré) et crée un gain, pour les épargnants et pour les assureurs, en plus de contribuer au financement de l’économie via le PER. Il faut la pérenniser et la faciliter en introduisant dans les relevés annuels des contrats d’assurance vie une estimation des montants correspondants aux seuils de plus-values transférables sur un PER.
Des statistiques fiables pour éviter le brouillard
Le PER finance largement l’économie productive, notamment à travers la gestion pilotée par défaut comprenant une part d’investissement dans des actions de PME et ETI éligibles au PEA PME. Mais le gisement est trop étroit. Il faut l’élargir par le haut, en faisant sauter la contrainte d’effectif de 4 999 salariés, pour ne conserver que la contrainte de limite haute de chiffres d’affaires ou de total de bilan. Toujours par le haut, il faut faciliter l’accès à la bourse de ces entreprises pour accroître la liquidité et attirer les capitaux du PER. Il faut aussi élargir l’accès à la dette privée. Enfin, il faut réfléchir à élargir les supports de non-coté (private equity) en en assurant la liquidité pour les épargnants.
Il faut améliorer l’information de l’épargnant sur les frais, tout en rémunérant légitimement le conseil qui est exigé par la loi et par les pratiques des professionnels pour son action de distribution et de suivi. Plafonner les frais ou interdire les rétrocessions, comme on l’entend parfois, entraînerait la mort de la distribution du PER. Est-ce ce que l’on cherche, alors qu’il prend sa place au service des Français et du financement de l’économie ? Encore une fois, c’est la libre concurrence et la transférabilité qui feront le travail de tri, plus intelligemment qu’une réglementation étouffante.
Enfin, il faut améliorer le suivi statistique du PER en produisant rapidement des statistiques consolidées de tous les acteurs : compagnies d’assurance de la FFA, instituts de prévoyance, mutuelle 45, Prefon, Corem, PER comptes titres, teneurs de compte d’épargne salariale. Un marché sans statistiques fiables avance dans le brouillard.
Deux ans après son lancement, le PER est un succès dans le paysage de l’épargne des Français. Mais l’amélioration continue n’est pas réservée aux entreprises. Maintenant que l’épargne retraite par capitalisation est une politique publique, en France, et forts de notre industrie financière de premier plan mondial, aurons-nous le courage de remettre l’ouvrage sur le métier en conservant les bons fondamentaux de PACTE ?