Le docteur Jean Tafazzoli a fondé la plateforme de télémédecine « Ma question médicale » avec d’autres médecins et professionnels de santé. Il analyse pour Assurland le succès qu’a connu la téléconsultation cette année et l’avenir de cette pratique.
Pouvez-vous nous présenter ma question médicale, et nous expliquer en quoi elle se démarque des autres plateformes ?
Nous avons créé Ma question médicale avec un autre médecin et trois ingénieurs, fin 2018. La première version du site a été lancée en mai 2019. Pour nous financer, 600 000 euros ont été levés uniquement grâce à la profession : médecins, infirmiers et infirmières, sages-femmes. Nous sommes donc indépendants financièrement, contrairement à nos concurrents qui se sont alliés à des mutuelles ou des assurances, pour fonctionner. De notre côté, pour des raison de liberté stratégique et décisionnelle, nous avons pris un autre chemin. Nous souhaitions aussi conserver une indépendance pour tout ce qui est gestion des données de santé, pour avoir notre propre politique sur le sujet : nous sommes le seul site qui ne garde pas sur ses serveurs les données du patient, elles sont supprimées après consultation.
Peut-on dire aujourd’hui que la télémédecine est équivalente à une consultation traditionnelle ?
En tous cas notre but est vraiment de digitaliser l’ensemble du parcours de soin du patient, du médecin jusqu’au pharmacien. Nous avons créé un véritable cabinet virtuel : grâce à l’application vous pouvez téléconsulter en vidéo avec un médecin, en priorité votre médecin traitant, ou un autre s’il n’est pas disponible, par un système de garde nationale. Ce principe d’une garde avec une salle d’attente virtuelle, nous permet de répondre à tous les patients en moins de trois minutes, tout du moins de 8h à 20h30, même si la plateforme reste elle accessible 24h/24. Nous sommes aussi en mesure de gérer le paiement du patient, en carte bleue ou en tiers payant. Nous sommes également désormais capables de fournir les documents CERFA, dont les arrêts de travail, et bientôt les bons de transport, mais aussi bien sûr l’ordonnance, grâce à un moteur de prescription que nous avons développé nous-mêmes, à partir de la base médicamenteuse de l’Agence national du médicament. Nos ordonnances sont sécurisées par un QR code, elle ne peuvent donc pas être reflashée par un second pharmacien. Notre ambition est donc de proposer tout ce que permet une consultation traditionnelle, mais en rendant la santé accessible de n’importe où.
Avec Ma question médicale, il est aussi possible de s’ausculter chez son pharmacien tout en étant en ligne avec son médecin. Expliquez-nous.
Toujours dans cette réflexion sur la digitalisation de la santé au sens large, nous avons pensé que l’examen clinique était nécessaire à la téléconsultation, et que nous ne pouvions pas nous arrêter simplement à la possibilité de se voir en vidéo, c’est le reproche d’ailleurs qui est le plus souvent fait par les patients : l’impossibilité d’ausculter. Chez nous c’est donc possible, nous avons développé un kit Bluetooth avec des appareils qui font la taille d’un téléphone, un stéthoscope Bluetooth qui renvoie l’osculation cardiaque et pulmonaire au médecin, avec en plus l’analyse d’une intelligence artificielle. Nous avons également le saturomètre pour l’oxygénation du sang, un endoscope, c’est-à-dire une caméra qui permet d’observer le fond de la gorge ou la peau de près par exemple, et enfin un tensiomètre, pour renvoyer la tension en temps réelle. Ces appareils sont peut-être disponibles chez votre pharmacien, avec un ordinateur pour échanger en même temps avec votre médecin, et une imprimante pour éditer l’ordonnance.
Comment la crise du Covid-19 a-t-il fait évoluer votre plateforme ?
Le Covid nous a permis d’améliorer notre infrastructure au niveau technique car nous nous sommes retrouvés avec un trafic très important. Depuis nous avons aussi amélioré le site, et les appareillages. Pour l’instant le kit Bluetooth est disponible en pharmacie, mais le contexte amène à penser qu’il faudrait le rendre accessible également ailleurs, comme dans les mairies ou en entreprise par exemple. Nous augmentons aussi continuellement notre nombre de médecins : nous avons enregistré jusqu’à 150 nouveaux venus sur le site au plus fort de la crise. La téléconsultation était alors aussi pour eux une façon d’exercer leur profession en limitant les risques de contagion. Si bien qu’aujourd’hui nous avons plus de 3 000 médecins sur la plateforme, mais nous comptons aussi intégrer les autres corps de métier des professions de santé, comme les infirmier et infirmières, les sage femmes, et de plus en plus de spécialistes.
« Notre ambition est donc de proposer tout ce que permet une consultation traditionnelle, mais en rendant la santé accessible de n’importe où ».
Et en termes de fréquentation, dans quelle proportion la télémédecine s’est-elle développée en cette année si particulière ?
Pour donner des chiffres, nous étions 600 médecins en janvier 2020, nous sommes aujourd’hui à plus de 3 000, comme je vous le disais. En début d’année nous avions 20 ou 30 000 visites par mois, ce qui était très bien pour un début. Mais nous sommes désormais à 8 millions de visites au total, avec quasiment 160 000 patients inscrits. Cette croissance assez fulgurante nous amène aussi à être actuellement en processus de levées de fonds pour grandir encore.
Craignez-vous qu’avec une telle croissance la télémédecine remplace à terme la médecine réelle ?
Certaines plateformes remplacent simplement en effet des créneaux de consultation réels par des créneaux en vidéo. C’est une aberration, pour nous la téléconsultation ne vient remplacer ni la visite à domicile ni la consultation réelle, elle doit venir comme une modalité supplémentaire. Vous pouvez par exemple via la plateforme me demander un arrêt de travail si vous l’avez oublié, ou simplement me poser une question, et nous pouvons en discuter via notre messagerie texte ou vidéo. Chez Ma question médicale nous tenons aussi beaucoup à la territorialité, qui est inscrite dans la convention de la télémédecine. Je pense qu’il est important d’avoir aussi accès en réel au médecin que vous avez vu en télémédecine, ce qui nous protège aussi d’être demain en consultation avec un médecin d’un autre pays par exemple, si l’Europe venait à autoriser la concurrence dans ce domaine.
En parlant de territorialité, est-il possible justement de choisir son médecin en fonction de son secteur ? Les tarifs sont-ils conventionnés ?
Pour les honoraires, vous pouvez en effet choisir votre médecin en fonction du secteur et de la spécialité, car nous nous différencions aussi en proposant toutes les spécialités. Le site est gratuit pour les patients, et vous payez votre consultation au médecin avec lequel vous téléconsulter. Si votre médecin traitant n’est pas disponible, nous cherchons un praticien de votre département, puis de votre région. Vous payez par carte bleue, puis vous êtes remboursés avec votre feuille de soin. Mais nous travaillons à améliorer ceci également, en instaurant la télétransmission comme au cabinet, pour ne pas avoir à gérer la feuille de soin : d’ici un mois elle devrait être gérée automatiquement. Pour le tiers payant, nous travaillons aussi sur la télétransmission automatique, et pour la part mutuelle nous sommes également en train de nouer des accords.
Comment vous financez-vous avec un service gratuit ?
Nous prenons 3% sur le chiffre d’affaire des médecins et nous vendons notre kit Bluetooth, pour l’instant aux pharmacies et infirmiers libéraux, et bientôt aux entreprises et mairies. Nous ne le vendons pas encore aux patients, car il coûte 1800 euros hors taxe, mais sous travaillons sur une version allégée, un kit « à domicile », qui sera distribué en ligne et en pharmacie, avec au moins tensiomètre voire un électrocardiogramme. Et puis ma question médicale est de plus en plus utilisée dans les cabinets comme logiciel métier, nous nous développons aussi de ce côté.
Quel est le profil de vos médecins ? La télémédecine séduit-elle uniquement les plus jeunes ou les plus connectés ?
Il y a bien de tout, à la fois des jeunes qui veulent faire des matinées entière de téléconsultations par exemple, qui croient beaucoup en cette nouvelle façon de faire. Certains l’utilisent comme un appoint, comme moi, car je suis toujours médecin à mi-temps. Je fais mes consultations et mes visites, et je réponds aux questions de mes patients en fin de journée sur la plateforme. Et puis nous avons aussi des médecins qui se sont mis en retraite de leur cabinet, et qui souhaitent donner un coup de main, et décharger un peu la régulation du 15. Le 15 renvoie d’ailleurs de plus en plus leurs interlocuteurs vers des sites comme le nôtre, tout comme l’Assurance maladie, m’a confié l’un de mes patients. Cela montre que la télémédecine est une véritable alternative, en particulier dans des périodes comme celle que nous vivons. A terme, elle permettra toutes les utilisations, certains préfèreront toujours prendre rendez-vous, mais d’autres l’utilise déjà comme un réseau social, avec un médecin toujours prêt à vous répondre.