Christine Lamidel est salariée et aidante. Elle a lancé l’application Tilia aider les personnes dans sa situation. Elle revient pour Assurland sur les solutions à apporter aux aidants entreprise, et sur le récent congé de proche aidant.
Pouvez-vous d’abord nous parler en quelques mots de votre application, Tilia ?
Tillia est un service d’accompagnement à destination des aidants de proches fragilisés par la maladie, le handicap ou le grand âge. C’est un service à la fois humain et couplé au digital. Humain, car nous mettons à disposition des assistants personnels qui sont joignables de façon illimitée 24h/24 et 7j/7 pour agir sur trois axes : l’information et la recommandation, l’organisation du quotidien du proche fragilisé, et un suivi sur le passage des prestataires en temps réel. L’application permet d’agréger toutes les informations et d’être soulagé, rassuré et informé de ce qui se passe au domicile du proche.
Cette application permet donc notamment aux aidants de concilier aidance et travail, ce qui n’est pas toujours facile.
Oui tout à fait, j’ai été moi-même aidante, et collaboratrice au sein groupe BNP Paribas. C’est en accompagnant la fin de vie de ma grand-mère, mais parce que je suis aussi maman d’un enfant atteint de trouble DYS, que je me suis rendu compte que c’était très difficile et que beaucoup d’autres collègues le vivaient également. Quand il faut appeler les différents prestataires pour les faire passer au domicile de son proche, s’assurer qu’ils sont bien venus, que la prestation a bien eu lieu, que le plateau repas a bien été livré, que l’infirmier.ère, a bien fait ses soins, c’est compliqué d’être à la fois à son travail et d’avoir l’esprit tranquille. On remarque aussi que les aidants prennent souvent un temps partiel ou des jours de congés supplémentaires, ce qui illustre bien qu’il est très difficile de jongler entre ces deux activités. C’est ce que nous souhaitons changer avec l’assistance proposée par l’application.
Que pensez-vous du tout récent congé de proche aidant, qui partage cette ambition ?
C’est une première mesure notable et importante. Mais, en revanche, c’est vrai qu’en voyant les conditions de mise en œuvre je suis un peu plus mitigée. Car il faut être sur un degré de dépendance GIR de 1 à 3 pour les personnes âgées qui reçoivent l’allocation de l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie), et puis pour le handicap il faut un taux d’incapacité permanente de 80% et plus, donc c’est assez restrictif. Et puis les montants et la durée sont je pense à adapter. Aujourd’hui le congé est de trois mois renouvelables (en l’absence de dispositions conventionnelles) mais la durée totale ne doit pas dépasser un an sur l’ensemble de la carrière du salarié. Or, quand on accompagne sur la fin de vie un proche, qui peut avoir la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, qui durent dix voire parfois quinze ans, ou quand on accompagne un enfant en situation de handicap pour toute sa vie, on ne peut pas s’y retrouver. Concernant le montant de l’allocation journalière du proche aidant (AJPA), c’est un premier pas mais le reste à charge pour l’aidant demeure non-négligeable.
Ces dispositifs sont néanmoins positifs dans le sens où nous attendions une évolution depuis des années. Depuis la loi ASV (relative à l’adaptation de la société au vieillissement, ndlr) qui date déjà de décembre 2015, il y a eu des pas de franchis, notamment la reconnaissance du statut d’aidant l’année dernière, qui vient compléter le dispositif. Une première victoire est de ne plus négliger l’existence des aidants, qui sont potentiellement 20% à être concernés en entreprise.
Hors de France, a-t-on des exemples de pays qui avancent plus rapidement que nous sur le sujet ? Peut-on s’en inspirer ?
A l’étranger les dispositifs pour les aidants sont davantage mis en place par des associations, qui sont plus entendues sur le sujet, par exemple aux États-Unis et au Canada, pour pallier le manque d’une Sécurité sociale. Le congé aidant indemnisé mis en place en France par exemple est une grande première, nous n’avons pas vu de dispositif équivalent ailleurs, on peut s’en féliciter. De notre côté, nous devons surtout progresser sur la perception des aidants.
Dans les pays anglo-saxons il est beaucoup plus courant d’avoir recours à des services aux particuliers. Chez nous, le rôle d’aidant est associé à un déni, une culpabilité, ou une charge mentale. C’est pour cela que le terme d’ « aidant » n’a été reconnu que très récemment. Aujourd’hui, beaucoup de gens ne se reconnaissent pas encore en tant que tel, car c’est une aide que l’on prodigue spontanément. Nous avons cette charge mentale qui nous fait nous dire que c’est normal de s’occuper de ses parents, car ils se sont occupés de nous avant, et donc que cela est simplement naturel. Mais cela n’a rien de naturel de faire parfois des tâches qui ne le sont pas, où auxquelles on n’est pas formé. Et aujourd’hui certains le font sans voir ou accepter que ce soit quelqu’un d’autre qu’eux qui le fasse.
« L’aidance pourrait bientôt concerner 25% salariés »
Est-ce pour cette raison que les aidants salariés ont aussi du mal à en parler dans leur entreprise ?
Oui, c’est ce qui nous a intéressés avec le baromètre « aider et travailler », car par rapport aux autres enquêtes sur le sujet, nous avons choisi le prisme de l’aidance en entreprise, tandis que les autres mettaient davantage en relief le profil, ou la typologie de l’aide etc. De notre côté, nous avons reçu 600 réponses d’aidants également salariés (en grandes entreprises ou en ETI), et 70% répondent qu’ils ont parlé avec leurs collègues de leur situation. 30% l’ont évoquée avec les Ressources humaines, et 40% avec leurs managers. Nous avons aussi des non-aidants qui ont témoigné de l’impact positif et négatif de cette situation.
Du point de vue positif justement, vous évoquez souvent les compétences que développent les aidants et qui devraient être valorisées par l’entreprise, quelles sont-elles ?
Les aptitudes évoquées par les aidants vont être la gestion du stress, la prise recul, et l’organisation du temps de travail. Pour les aidants, le temps est une denrée très précieuse, et, puisqu’ils en manquent, ils savent le prioriser de manière plus efficace. Les aidants ont aussi souvent des profils professionnels plus résilients, persévérants, plus combatifs. Et puis l’aidance développe aussi après coup des compétences nécessaires à certaines activités professionnelles, comme certaines postures et certains gestes, parce qu’ils sont amenés à faire des actes à la limite du médical. Enfin, les aidants développent aussi tout ce qui va être connaissances économiques et sociales, car ce sont eux qui entament toutes les démarches administratives pour leurs proches. Nous voyons d’ailleurs beaucoup d’aidants qui se tournent ensuite vers des formations d’auxiliaires de vies, pour changer de voie et mettre à profit leurs nouvelles compétences et continuer à aider les d’autres.
Sur quelles pistes d’amélioration de la condition d’aidant allez-vous travailler dans les années à venir ?
Dans mon entreprise je travaille, avec les Ressources humaines et les assistants sociaux du groupe, pour que l’aidance entre dans les négociations obligatoires des entreprises. Le but est d’en faire l’égal des autres sujets inclus dans l’enjeu de la diversité et de l’inclusion en entreprise. Souvent je me heurte au fait que l’aidance ne fasse pas encore partie de la loi sur l’entreprise inclusive. Mais, aujourd’hui, puisque c’est un sujet de stigmatisation, au même titre que le sexe ou l’orientation sexuelle, par exemple, les aidants devraient aussi faire partie des personnes à intégrer en priorité dans le monde du travail. Il faut cesser de faire semblant de ne pas les voir, et, au niveau du dialogue social, il faut encourager les partenaires sociaux à généraliser les aides concrètes à apporter aux collaborateurs aidants, et que cela soit intégré aux accords de branches professionnels.
Dans le Livre blanc que nous avons produit, nous faisons dix propositions, et plusieurs ne nécessitent ni temps ni argent supplémentaires et peuvent être mises en places rapidement. Aujourd’hui, le sujet n’est même pas évoqué, ou très rarement, lors des visites médicales, si le collaborateur ou la collaboratrice n’en parle pas de lui ou d’elle-même. Il y a un pourtant de nombreux questionnements posés par cette situation d’aidants, comme le fait que cela engendre beaucoup plus de risques d’accidents du travail, sans parler des risques psycho-sociaux.
La prochaine étape, décisive, pour nous, c’est d’abord que ce sujet ne soit plus ignoré. Car il pourrait bientôt toucher 25% des salariés et il influe sur toute l’entreprise. Il faudrait aussi enclencher une action contre la précarité des aidants car ils doivent aménager leur temps de travail pour la moitié d’entre eux. Enfin, il faut aussi soutenir les aidants sans emploi pour les aider à s’intégrer ou se réintégrer professionnellement. Il ne faut pas oublier que certains ont été licenciés ou mis de côté du fait de leur statut d’aidant et donc de leurs absences contraintes. Il y a donc encore beaucoup à faire !