Pour les banques, rien ne sera plus comme avant. La crise sanitaire de 2020 et le confinement planétaire ont été un formidable accélérateur de la transformation des systèmes d’information. En quelques semaines, des chantiers balbutiants ou au long cours sont parvenus à leur achèvement. C’est le constat que dresse Christophe Leblanc, directeur des ressources et de la transformation numérique au sein du groupe Société Générale. La crise de la Covid-19 a mis en évidence le rôle fondamental et la capacité d’adaptation des infrastructures informatiques, alors qu’elles étaient sollicitées afin d’assurer la continuité d’activité des banques, opérateurs d’importance vitale (OIV), de protéger leurs collaborateurs et de répondre aux nouvelles demandes de clients fraîchement convertis au tout numérique.
Digitaliser le cœur
Dans l’industrie bancaire, le legacy, ensemble de technologies héritées des années 1970 destinées à gérer les comptes des clients, demeure l’écosystème dominant, toujours apprécié pour sa grande robustesse. Mais pour combien de temps encore ? Les banques s’approprient facilement les dernières innovations sur smartphone. Elles rivalisent d’applications, de méthodes biométriques d’identification et de chatbots toujours plus sophistiqués. Mais très peu d’entre elles se sont véritablement lancées dans l’open banking et l’utilisation des données bancaires. Pour Julien Maldonato, Associé Conseil Industrie financière, et Hervé Phaure, Associé Risk Advisory, chez Deloitte, la rentabilité et la croissance d’une banque dépendent désormais de sa capacité à s’ouvrir véritablement à son écosystème, selon l’une ou l’autre de ces stratégies : bank-as-a-platform, bank-as-a-service, ou fournisseur de données. Les auteurs en font la démonstration à travers l’exemple des activités de crédit.
La digitalisation du cœur (core) de la banque est aujourd’hui indispensable, estime également Yves Eonnet, président fondateur de la Fintech TagPay, qui a mis au point un digital banking system, hébergé dans le cloud et mobile-centric. Lui distingue trois approches possibles pour moderniser le core banking system des banques, en fonction de leur taille, de leur ancienneté et de leurs choix stratégiques : un remplacement complet, une modernisation progressive ou une approche greenfield.
Sécurité, souveraineté, frugalité
La crise de la Covid-19 a mis en évidence l’urgence à moderniser les systèmes d’information en même temps que la complexité croissante d’enjeux plus ou moins identifiés jusqu’alors, devenus prioritaires aujourd’hui. Au défi immuable de la cybersécurité se sont ajoutés celui de la frugalité, qui prévaut dans les mentalités et les politiques visant à restreindre l’empreinte climatique des technologies, puis ceux de la souveraineté et de la protection des données personnelles, face à l’appétit d’acteurs extra-européens dominants.
Ce fut d’ailleurs l’un des événements de l’été qui ont agité le secteur bancaire : BNP Paribas a ouvert à d’autres acteurs bancaires et financiers, européens et américains, sa propre solution de cloud public. Bernard Gavgani, Global Chief Information Officer de BNP Paribas, détaille comment la banque a échafaudé avec son partenaire IBM Services ce cloud dédié, destiné à garantir des conditions de sécurité et à préserver la souveraineté de l’entreprise sur cette partie de son système d’information.
Un monde sans cash… ou presque
L’effet le plus évident et le plus populaire de la crise sanitaire sur les systèmes monétiques fut la découverte puis l’adoption massive par les clients des paiements sans contact et électroniques. Reviendront-ils en arrière ? Marion Labouré, économiste chez Deutsche Bank, nuance les effets à longs termes de la crise sur les paiements numériques, à travers une comparaison internationale. Plusieurs banques centrales ont activement communiqué sur la faiblesse des risques de contamination via le cash, d’autres ont au contraire opté pour des mesures de précaution. Selon l’économiste, l’impact de la pandémie sur les systèmes de paiement pourrait se faire sentir plus tôt en Asie qu’en Europe et aux États-Unis.
François Daoust, délégué général de la Fédération des entreprises de la sécurité fiduciaire (FEDESFI), analyse et critique le mantra de l’arrivée imminente d’un « monde sans cash ». La dématérialisation totale de la monnaie ne diminue pas la criminalité et accentue les fractures sociales, géographiques et numériques, veut-il rappeler. Puis il s’arrête sur ce constat étonnant : pendant la crise sanitaire, les paiements traditionnels étaient certes en diminution, mais la production de devises et leur retrait n’ont fait qu’augmenter. Par le plus grand des paradoxes, la monnaie papier serait-elle en train de devenir une valeur refuge ?
Ce dossier de Revue Banque est complété par le numéro 394 de Banque & Stratégie (septembre 2020) dédié à la digitalisation des banques et aux effets de la crise sanitaire sur l’organisation de l’entreprise.