Situation macroéconomique, stabilité de l’union monétaire et avenir du pays sont des sujets que les assureurs, ‘poumon de l’économie française’, maitrisent. S’ils ne sont pas toujours enclins à répondre officiellement à nos questions sur ces sujets, nous avons discuté et laissé traîner nos oreilles. L’été, faible en actualité, est l’occasion de prendre un peu de recul. Sans trahir (ou presque), les off.
Les indicateurs économiques ne sont pas au beau fixe, bien que, comme le soleil en cette saison estivale, certaines éclaircies viennent faire une percée au milieu de la morosité ambiante. La crise, toujours la crise. Les Français fatigués ne perçoivent pas véritablement de rupture depuis 2007 – 2008. Et pour cause, si la situation s’est parfois améliorée, les hauts ne suffisent pas à compenser les bas qui affolent le grand huit des marchés financiers.
L’Insee a, il y a un mois, donné raison au bon sens populaire puisque selon l’Institut national de la statistique, la crise économique et financière a entraîné un manque à gagner de près de 140Mds d’euros par an pour la France, et le pays n’a pas rattrapé le retard pris après la récession de 2009. « Deux ans après la sortie de récession, l’économie française retrouve tout juste le niveau d’activité de 2008 », indiquait alors l’Institut dans un rapport.
Du côté des assureurs, certains préfèrent imager cette pagaille par un rabattage de carte du grand ordre mondial : « La donne change. Les Etats-Unis sont dans le creux du U, la France coule tout droit comme un sous-marin. Bientôt le terme de pays « émergents » aura disparu » déclare un directeur financier. Par quoi sera-t-il remplacé ? Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas à notre avantage.
Dans la famille des perdants, je voudrais… La Grèce. Et « La Grèce, c’est plié » assène-t-on. Débarrassés de 75% de la dette hellène, les assureurs gardent à charge 25% dont 15% sont issus du FESF. Si les mesures ont été prises par les créanciers, du côté des dirigeants, l’idée n’est plus taboue sur la place publique. Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, vient de déclarer qu’une sortie de la Grèce de la zone euro « serait gérable », bien qu’elle ne soit « pas souhaitable ». Les dés sont jetés pour beaucoup, et 22% des investisseurs croient que le pays ne restera pas dans la zone de la monnaie unique.
Bientôt l’effet domino ?
Le cas de la France est plus inquiétant et les assureurs ne semblent pas très confiants sur son l’avenir. Si le château de carte s’effondre, l’effet domino prendra le relais et, la France suivra l’Espagne et l’Italie. Alors que ces deux pays ont conduit moult réformes, l’hexagone n’a pas encore pris le taureau par les cornes. The Economist avait raillé par deux fois « le déni de la France ». Si l’hebdomadaire britannique soutient la faveur de Hollande pour la croissance, il a fustigé le manque d’initiative en faveur de réformes structurelles.
Au même moment, le nouveau gouvernement a annoncé la mise en place d’une taxe de 3% sur les dividendes versés aux actionnaires, avant de mettre en place une taxe sur les transactions financières. Donnant du grain à moudre à la critique, le baromètre Hernst & Young a averti que l’hexagone, devancé par l’Allemagne, a perdu justement sa deuxième place parmi les pays les plus attractifs en Europe. Cette fois c’est le moral des chefs entreprises qui en a pris pour son grade. Et Laurence de Parisot d’évoquer l’ « inquiétude immense » des patrons, qui affrontent « effondrement des marges, chute des carnets de commande, tensions extrêmes sur les trésoreries ».
La carpette rouge de Cameron
L’affaire aurait pu rester dans les frontières, mais c’était sans compter l’humour pas très british du premier ministre David Cameron, qui a alors, grand prince, déroulé « le tapis rouge » aux entreprises Françaises. Les hauts revenus, jamais taxés à plus de 45% au pays du brouillard, quand Hollande veut les passer à 75%. En tête du baromètre Hernst & Young, le royaume outre-manche est aussi celui-ci des investisseurs étrangers. Mais qu’en est-il vraiment des effets de cette mesure ?
Encouragera-t-elle réellement les entreprises à réinvestir, ou est-ce juste un moyen pour renflouer rapidement les caisses ? Là aussi, difficile de faire parler les assureurs autrement qu’en off. « Le problème, ce sont les effets pervers d’une telle mesure. Avec la libre circulation des capitaux, on ne peut plus se permettre prendre des décisions politiques en faisant comme si nous étions seuls au monde » lâchent certains. Pour acheter leurs actions, personne n’hésitera en effet à aller voir ailleurs. Là aussi, The Economist prédisait avant l’élection qu’il se pourrait bien que très rapidement, « les investisseurs fuient le marché obligataire » français. Les assureurs confirment qu’il n’y a pas de raison de faire autrement.
Pour les assureurs-vie, c’est le relèvement du plafond du livret A qui tracasse. Bien que l’encours de l’assurance-vie soit 6 fois supérieur à celui du livret A, on a vu que le système des vases communicants fonctionnait, depuis qu’a démarré la décollecte l’été dernier. Et les assureurs ne sont pas sûrs de la pertinence de cette mesure concernant l’aide aux logements sociaux. « Le problème des logements sociaux est un problème de surface, et ce n’est pas l’augmentation du plafond livret A qui libérer des immeubles » déclarait Thierry Derez, PDG de Covéa lors de l’annonce des résultats de la Sgam.
La consommation financée par les avantage sociaux et fiscaux selon de Castries
Pourtant, lors de la dernière annonce des résultats semestriels du groupe Axa, Nicolas Moreau, PDG d’Axa France ne se montrait pas très inquiet, les sommes déposées sur les livrets « n’étant pas assez importantes pour concurrencer l’assurance-vie ». Henri de Castries, le PDG du groupe que nous avons interrogé en marge, a pris une position plus tranchée : « Penser qu’on va financer de l’investissement long avec de l’épargne liquide c’est une erreur. »
Le relèvement du plafond du livret A est pourtant cohérente avec l’objectif affiché du président de relancer l’économie par la consommation en rendant une partie de l’épargne plus liquide. La contribution de la consommation à la croissance est importante. Alors que le chef de l’Etat souhaite soutenir la demande sur les marchés pour continuer à faire tourner la machine, la situation d’endettement de la France ne permet pas d’envisager l’avenir sous cet angle selon Henri de Castries : « C’est une mauvaise idée avec laquelle les français vivent depuis longtemps. C’est pour ça que la France vit au-dessus de ses moyens ».
« Quand on finance la croissance par une consommation qui est elle-même financée par des transferts sociaux ou des avantages fiscaux, on aboutit au modèle que nous avons qui est un modèle de déséquilibre de la balance commerciale, de déséquilibre de la balance des paiements de croissance faible, de chômage croissant et de marge faible pour les entreprises. Le seul modèle qui marche aujourd’hui dans une économie ouverte est un modèle d’offre » tranche-t-il.
Les assureurs sont parvenus à tirer leur épingle du jeu, comme à leur habitude. Du côté du CAC 40, les bénéfices semestriels ont baissé de 15%. Malgré le contexte et la baisse des taux d’intérêt, les résultats d’Axa sont stables si l’on retire les plus-values exceptionnelles suite à des cessions l’an dernier, de même que ceux de CNP Assurances. En attendant le retour du soleil, espérons que le secteur continue à faire bonne pioche.