Hier tabou, la sortie de la Grèce de la zone euro est désormais considérée comme une voie envisageable à défaut d’être souhaitable. Depuis trois ans, de plan en plan, l’Europe tente de sauver le soldat grec sans pour autant trouver une solution de long terme.
Face au déficit chronique de la balance commerciale et au déficit public, les Etats membres de la zone euro ont décidé de conditionner leurs prêts et leurs aides à un retour à l’équilibre ce qui signifie bien une réduction du PIB. En effet, en l’absence de gains de productivité et dans l’incapacité de dégager des excédents commerciaux, le retour à l’équilibre suppose une réduction de la demande intérieure.
Il est naturel que cette perspective provoque l’hostilité de la population grecque. Mais, l’idée de financer la consommation grecque via un transfert en provenance de l’Europe du Nord ne peut qu’entraîner l’opposition de la population des Etats en excédents. Certes, dans un jeu de poker, le joueur avec une main faible a moins à perdre que celui qui dispose du meilleur jeu.
La sortie de la Grèce aboutirait immanquablement à la banqueroute de l’Etat et à l’abandon total des créances publiques et privées qui ont déjà été effacées à 70 % à la fin de l’année 2011. Le coût serait de 50 milliards d’euros pour la France et d’environ 100 milliards d’euros pour l’Allemagne. La Grèce serait incapable de financer les dépenses publiques courantes et en particulier les traitements des fonctionnaires ainsi que les prestations sociales. Le pays devrait être placé sous le contrôle du FMI. La sortie de la Grèce de la zone euro permettrait de jouer sur la valeur de la monnaie. La nouvelle monnaie grecque subirait une dépréciation par rapport à l’euro d’au moins 50 % voire plus avec la banqueroute. L’ensemble des actifs serait de ce fait déprécié. La tendance actuelle des Grecs à sortir l’argent des banques s’amplifierait avec l’annonce d’une éventuelle sortie de l’euro avec conséquence une faillite du système financier.
La sortie de la Grèce créerait un précédent extrêmement dangereux. Elle prouverait l’incapacité des Etats de la zone euro à régler le problème de la divergence de compétitivités. La zone euro ne se pense pas comme une zone fédérale à la différence des Etats-Unis. Il n’y a pas de balance commerciale entre le Nebraska et la Californie, entre le Texas et le Wyoming. Or, aujourd’hui, malgré la monnaie unique, l’Europe continue de vivre au rythme des échanges commerciaux. Par ailleurs, il n’y a pas, au sein de la zone euro, de mécanismes pour régler les crises localisées dans un ou plusieurs Etats. Il y a donc une montée aux extrêmes des crises économiques.
L’instauration de la monnaie unique a accéléré la spécialisation au sein de la zone. Les Etats à tradition industrielle ont renforcé leurs positions quand les Etats du Sud se sont spécialisés dans les services. Par définition, une telle spécialisation ne peut que générer des déficits. La productivité dans les services et dans le bâtiment progresse moins vite que dans celle de l’industrie. Dix ans de spécialisation active que la Grande récession a rendus encore plus nette a abouti sur une impasse économique et financière.
Après la Grèce, d’autres Etats feraient l’objet d’attaques. Le manque de solidarité pour un Etat pesant 2 à 3 % du PIB de la zone ne pourrait conduire les investisseurs à douter de la capacité des Etats européens à s’entendre face à un péril de plus grande ampleur sauf à prétendre que le principe de « too big to fail » s’appliquerait.
Le démontage de la zone euro marquerait le signal d’un départ pour une terre inconnue…
Philippe Crevel Secrétaire général du Cercle des Epargnants-Économiste