La manifestation des agents généraux, a duré longtemps. Deux heures d’attente sur le trottoir de Generali, au cours desquelles nous avons pu discuter avec les agents, entre enthousiasme et confidence.
Mardi, sur le boulevard Haussmann, non loin de la FFSA. D’habitude si bien fréquenté le trottoir est agité. « Agents généraux en danger ! » C’est en robes et sandales ou costumes et cravates que les agents généraux sont venus battre le pavé bien poli devant le siège de Generali, pour réclamer le respect de leur profession, libérale. D’emblée, on nous tend un badge, tiens, il est blanc et pas rouge comme souvent. Surprise, il y a plus de 700 personnes. Les manifestations dans l’assurance rassemblent rarement autant de personne. Surtout que c’est la grande première du syndicat des agents généraux de Generali, Triangl’.
Il y a bien un ou deux policiers venus au départ vérifier que tout se passait en ordre. Mais ils sont vite repartis. Seule la sécurité privée de l’assureur regarde d’un œil noir quiconque essayeraient de s’approcher trop près. « Industrialisation dévastatrice ! » Tout juste arrivés sur les lieux du mouvement, nous approchons un manifestant pour lui demander où se trouve le président du syndicat, histoire d’obtenir une petite interview filmée avant qu’il ne monte dans le bureau du grand chef Claude Tendil, au 5e.
On est plutôt content de renouer avec le terrain
Bernard Jeannot, le syndicaliste en chef, semble un peu tendu, sans doute anxieux du résultat de cette première étape du parcours, qui il l’espère, se transformera en négociations. Les slogans et revendications en chanson sont là pour lui rappeler les attentes de ses collègues qui pèsent sur ses épaules. « Vous êtes de Libé ? » nous demande un manifestant, qui regarde pourtant fixement le micro customisé aux couleurs de News Assurances PRO.
En tant que journalistes « éco-assurance », nous avons moins l’habitude que d’autres confrères de « couvrir » ce genre d’évènement. Il y a bien eu quelques manifestations dans le secteur à la dernière rentrée, mais sans être partiaux dans cette histoire, éthique oblige, on doit bien l’avouer, on est plutôt content de sortir des conférences de presse habituelles pour aller « sur le terrain ». Triangl’ est toutefois un peu différent des syndicats historiques comme la CGT ou FO. Constitué en 1997, il défend une profession indépendante. Et eux-mêmes l’avouent : ils sont peu habitués aux défilés. Ils n’ont pourtant pas l’air intimidé de se faire entendre en plein centre de Paris.
La clameur s’élève, le président du syndicat s’élance enfin dans l’arène
Observer les agents qui zigzaguent entre les flaques d’eau, en même temps qu’ils évitent de passer devant notre objectif pour ne pas gêner, donne lieu à des situations amusantes. La clameur s’élève, ah, le président du syndicat s’élance enfin dans l’arène, encouragé par ses collègues. Triangl’ n’est peut-être pas un syndicat qui œuvre pour la lutte des classes, mais son patron lève le point en entrant dans l’arène du lion vénitien. « Bernard !», clap clap clap, « Bernard ! » L’entrevue doit durer une demie heure, elle durera quatre fois plus. Deux heures, pendant lesquelles on en profite pour discuter. Le lien se crée toujours plus facilement en piétinant.
Certains sont venus de loin. Beaucoup du Sud, le bronzage ne trahit pas. Parfois en famille : « Je suis agent général depuis 20 ans à Grasse, à la tête de deux agences, j’emploie 5 personnes, nous explique Chantal Arzur. Je suis venue avec mon fils qui tient le point de vente secondaire de Cannes et s’apprête à rentrer dans la profession. Nous sommes venus dénoncer le ras le bol. Pour qu’on nous reconsidère enfin et qu’on nous redonne un peu de pouvoir. Si on est là aujourd’hui, c’est par ce qu’on est tous essoufflés. »
« Ils sont pas commodes, là-haut. »
Tous les regards se tournent en direction des fenêtres de bureaux. Sur le trottoir, les agents applaudissent et crient pour essayer de rallier à leur cause quelques salariés. Car l’objectif est bien de tenter d’en faire descendre quelques-uns. Au milieu des petites phrases, applaudissements et sifflements, certains regrettent de ne pas avoir embarqué un porte-voix. Et oui, les manif’, c’est toute une organisation. Battre le pavé est un vieux métier. Quelques employés se penchent bien de là-haut pour faire signe, mais aucun ne descendra. Ceux qui sortent évitent même les tracts qu’on leur tend. « Ils ont reçu des consignes », nous assure un agent. « Ils sont pas commodes, là-haut. »
La foule rapproche les esprits, on attend. « Peut-être que Bernard les a pris en otage ! » s’esclaffe trois agents à notre droite. Elles fument en riant. Une heure déjà. On discute. « C’est depuis la changement de direction que nos problèmes ont commencé. Comment quelqu’un qui a dirigé Axa France peut être aussi mauvais avec son réseau ? Je ne comprends pas » s’insurge l’un d’eux. Finalement, seule une salariée de Generali ira discutera avec une agent général qui lui tend un tract alors qu’elle était descendue fumer sa cigarette.
« Comment quelqu’un qui a dirigé Axa peut être aussi mauvais avec son réseau ?»
Lorsqu’on demande à l’un des agents s’ils sont allés à la rencontre des syndicats des salariés, on sent quelques hésitations: « Nous n’avons pas les mêmes problèmes avec la compagnie. Et puis c’est vrai que nous n’avons pas la même culture du syndicalisme. » Aucun mépris, mais beaucoup n’avaient sans doute jamais imaginé défiler devant leur compagnie un jour. Alors que seuls 8% des Français sont aujourd’hui syndiqués, les syndicats historiques sont désertés et ne séduisent plus les jeunes. Pendant ce temps, d’autres comme Triangl’ se mettent en place et rassemblent plus de 700 personnes venues de tout l’hexagone. Le paradoxe du syndicalisme des années 2012 ?
Sauf qu’au bout de deux heures d’attente, le corps reprend ses droits. 14heures, déjà, l’heure de déjeuner est dépassée. Tous s’impatientent : « Rendez-nous Bernard ! » reprend la foule pour se donner du courage, et peut-être aussi pour que leur syndicaliste en chef entende qu’il est temps de redescendre, maintenant. « Finalement, c’est Tendil qui garde Jeannot en otage ! », nous lancent nos voisines. Un peu plus loin, un de leur collègue nous regarde en rigolant au moment où on sort un paquet de biscuit : « Les journalistes, eux, ils ont l’habitude ! » Tous en cœur : « On a faim, rendez-nous Bernard ! ». Les merguez, c’est comme les porte-voix, ce sera pour la prochaine fois.