Dans une interview exclusive, Joachim Tavares, fondateur de Papyhappy évoque pour Assurland la vie des résidents d’Ehpad en cette période de Covid-19. Comment vivent les résidents ? Comment se protégent les professionels ?
Comment vivent les résidents des Ehpad en cette période de confinement ?
Dans la plupart des établissements, les résidents sont confinés dans leurs chambres toute la journée. Ils ne voient personnes hormis le personnel, qui est très occupé et n’a pas souvent la possibilité de rester suffisamment de temps avec le résident pour discuter.
Les résidents se retrouvent donc isolés. Isolés de leurs familles et de leurs proches. Sachant que pour certains résidents, les visites sont des moments essentiels qui les réjouit et leur permet de s’accrocher à la vie. Mais aussi isolés des autres résidents, puisque la convivialité des repas, des activités ou simplement des salons ne sont plus possibles. Il y a des chambres doubles, mais elles se sont de plus en plus rares dans les établissements. Et lorsqu’il y a un jardin, les promenades sont réglementées, c’est-à-dire solitaires et courtes.
On imagine facilement que moralement c’est très difficile pour eux, les journées doivent être très longues et peu gaies…
Heureusement que le gouvernement a pris conscience de l’urgence et la dangerosité de la situation d’isolement des résidents et a autorisé la réouverture aux familles et la possibilité d’organiser des visites. Mais tous les établissements ne vont pas pouvoir mettre cela en place du jour au lendemain, ça demande une organisation draconienne, matériel et humaine, pour respecter toutes les consignes de sécurité.
Comment se passe une journée type dans un Ehpad en cette période de confinement ?
Chaque résident est cantonné dans sa chambre toute la journée. Les repas sont tous pris en chambre. Pour ce faire, l’Ehpad doit s’organiser pour mettre en place un système de portage de repas en plateau dans chaque chambre. Il faut penser à la gestion des régimes et des textures alimentaires, détacher du personnel pour aider les personnes âgées ne pouvant pas manger seules, etc. Les repas prennent donc beaucoup de temps, on peut largement imaginer que dans ces conditions tous les résidents ne peuvent manger à midi.
Dans les résidences qui bénéficient d’un extérieur, des promenades sont organisées mais très encadrées. Un ou deux résidents à la fois, et à horaire précis. Cela demande au personnel un certaine gestion.
Les établissements sont aussi amenés à mettre en place des protocoles de soins et de ménage appropriés, qui garantissent la sécurité sanitaire des résidents et du personnel. Protocoles également nécessaires pour que les familles puissent apporter aux résidents les produits d’hygiène de première nécessité.
Par ailleurs, beaucoup d’établissements ont mis en place des moyens pour que résidents et familles gardent le contact, grâce au téléphone ou à la visio. Mais cela aussi nécessite une grosse organisation, du temps et du personnel.
Enfin, depuis que les visites sont de nouveaux autorisées, de nouveaux protocoles doivent être réfléchis et mis en place, selon les moyens techniques et humains de chaque résidence.
En résumé, toutes ces mesures nécessitent de modifier totalement l’organisation de l’établissement et la vie des résidents et du personnel.
Exception pour les résidences qui ont fait le choix de confiner le personnel avec les résidents. La vie à l’intérieur de la résidence n’est pas modifiée pour les résidents, à l’exception de l’absence de visites et de sorties. Ce sont même de nouveaux liens qui se tissent entre résidents et salariés, et même entre salariés.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement de permettre les visites aux résidents ?
C’était vital pour les résidents ! Comme je l’ai dit, pour la plupart d’entre eux, la visite et le contact avec leurs familles et leurs proches est essentiel. C’est ce qui les maintient en vie, dans la vie. Il ne faut pas oublier que les personnes qui résident en Ehpad ne sont plus autonomes, ont souvent du mal à se déplacer seules et à prendre soin d’elles. Pour certaines elles sont en fin de vie. Les échanges avec les proches, les souvenirs partagés, leur tendresse sont souvent les plus grands plaisirs pour les résidents, pour ne pas dire les seuls.
Comment vont-elles se dérouler ? Quelles sont les mesures de protection mises en place ?
Les mesures de protection sont simples : pouvoir installer le résident et son proche à distance suffisante et interdire tout contact physique, demander au visiteur de se laver les mains et de porter un masque propre à l’entrée et limiter son cheminement dans l’établissement.
Pour que ces conditions soient rassemblées, il faut que l’établissement dispose tout d’abord du lieu qui le permet, c’est-à-dire suffisamment grand. Comme la salle de restauration ou d’animation, ou un salon. Les visiteurs ne devront pas non plus se croiser ! Les établissements qui disposent d’un extérieur ont un avantage, surtout avec la météo clémente actuelle, les visites peuvent alors être organisées à l’extérieur.
Il faut aussi que l’établissement dispose du matériel de protection nécessaire, à savoir des masques neufs et du gel hydroalcoolique à mettre à disposition des visiteurs, en quantité suffisante, ce qui n’est pas évident.
Et enfin, dernière condition : du personnel et du temps. Car l’organisation des visites va nécessiter du temps pour fixer les rendez-vous, installer les résidents, accueillir les familles, surveiller que les règles sont bien respectées, nettoyer le mobilier après chaque visite, etc… Tout cela en plus de ce qui est déjà demandé au personnel… C’est sur ce dernier point que ça me semble compliqué pour les résidences, on entend malheureusement souvent que le personnel n’est pas assez nombreux.
Certains établissements accueillent jusqu’à 250 résidents, je vous laisse imaginer la complexité d’organisation avec toutes les familles demandeuses et impatientes…Les équipes, déjà sous pression, vont devoir faire redoubler d’énergie.
Avant cette autorisation, comment un résident pouvait garder un lien avec sa famille ?
Rapidement des solutions ont été déployées par les établissements pour maintenir le contact, mais là encore selon les moyens disponibles.
Pour les résidences équipées de téléphones sans fil ou mobile, d’ordinateurs portables avec caméra ou de systèmes de visioconférence plus sophistiqués, cela est évidemment beaucoup plus simple. Sachant que ces solutions nécessitent aussi des moyens humains et du temps pour organiser les rendez-vous, installer et nettoyer le matériel, parfois être présent lors des échanges.
Parfois aussi avec les moyens du bord. J’ai vu des établissements permettre aux familles d’apercevoir leur proche à travers le grillage d’un parc, sans aucun danger.
Les professionels des Ehpad sont-ils assez protégés ?
Au début du confinement c’était très difficile, beaucoup d’établissement se plaignaient du manque de matériel. J’ai l’impression que cela va beaucoup mieux, qu’ils ont été approvisionnés. Mais s’ils doivent maintenant en fournir aux visiteurs, cela risque de se compliquer.
Mais encore une fois cela dépend des établissements. Les résidences privées n’ont pas à attendre la livraison par le circuit public, elles peuvent réagir plus vite et passer par des réseaux d’approvisionnement différents. Cela dépend aussi du tissu local, on voit beaucoup d’entreprises locales qui fournissent les Ehpad de leur territoire.
Les résidents sont-ils testés ?
Ils ne le sont pas encore tous malheureusement. Les tests arrivent au fur et à mesure. Le gouvernement a décidé de dépister en priorité les Ehpad touchés par le virus. Il faudrait plus d’un million de tests pour dépister résidents et salariés.
Que pensez-vous des décisions du gouvernement pour protéger les plus fragiles et notamment les résidents des Ehpad ?
Elles étaient nécessaires, il faut protéger les personnes fragiles, et les résidents d’Ehpad en font partie. Il était normal de fermer complètement les établissements au début de la crise. Mais maintenant qu’on en sait que le Covid va rester parmi nous pendant plusieurs mois encore, qu’on sait que les gestes barrières font leurs preuves, et surtout sait qu’on ne peut pas décemment protéger les personnes en les enfermant trop longtemps, il était important de réagir et de s’adapter.
S’il demeure encore beaucoup de zones d’ombre autour de ce virus, on sait en revanche que l’isolement et la solitude peuvent tuer. Alors il est important de faire la part de choses. Il ne faut pas oublier non plus que beaucoup sont des personnes de plus de 80 ans très dépendant.
La mort fait partie du quotidien des établissements malheureusement, et c’est normal. J’espère donc qu’après l’assouplissement des mesures au niveau des Ehpad, nous serons assez intelligents pour de ne pas faire procès injuste aux Ehpad ou au gouvernement.
Selon vous, les personnes âgées doivent-elles restées à la maison après le 11 mai ?
Non, ce serait une absurdité et surtout dangereux pour leur santé mentale. Il ne faut pas oublier que moins de 10 % des personnes âgées vont en Ehpad, la majorité reste chez elle. Mais ce sont souvent des personnes qui vivent seules. Elles sont donc isolées depuis le début de confinement, et vivent très mal la situation d’un point de vue moral. Il n’y a pas que dans les Ehpad qui souffre d’isolement. Prolonger cette situation en leur interdisant de sortir, ce serait dangereux et inhumain.
Pensez-vous que le Covid-19 va changer la vision que nous avons vis-à-vis des Ehpad ?
J’aurais envie d’y croire, mais malheureusement je suis un peu pessimiste. La vision sur les Ehpad est très négative depuis bien des années. Certainement que bien des choses sont à améliorer mais il y a des résidences et des équipes qui font leur maximum pour assurer leur mission, avec humanité, on le voit en ce moment. Le problème est à mon sens culturel.
Nous vivons dans une société où il faut être jeune, beau et productif, une société où nos ainés sont laissés de côté, une société où la fin de vie est complètement tabou. Nous rejetons naturellement ce qui a attrait à la mort, or la mort fait partie de la vie. Malheureusement, c’est dans des circonstances inédites comme celles que nous connaissons que nous en prenons collectivement conscience. Tous les projecteurs se tournent aujourd’hui vers les Ehpad, car ce sont naturellement dans ces lieux, avec les hôpitaux, qu’on enregistre le plus grand nombre de décès, les lieux où les personnes sont en fin de vie et les plus fragiles.
On entre dans la vie des résidences, des résidents, du personnel. Les projecteurs mettent en lumière l’implication du personnel dont on ne parle jamais alors que les conditions de travail sont difficiles, que la profession est peu reconnue alors que la mission est essentielle. Le grand public n’a jamais autant entendu parler des Ehpad, en bien ou en mal. Peut-être plus en mal qu’en bien, et pas toujours de la manière la plus objective, c’est dommage…
Mais après le COVID, combien vont continuer à s’inquiéter de la vie en Ehpad, de la place réservée à nos ainés, des conditions de travail des soignants ?
Malheureusement l’Etre Humain oublie vite…